La classe comme maison des voisinages

A l’école, les cours s’organisent traditionnellement — et aujourd’hui encore — selon les règles du théâtre classique : une action, un lieu, un temps. Les modalités pédagogiques peuvent toutefois modifier cette règle des trois unités, et cela désormais avec l’appui des technologies numériques. Une telle modification de l’espace-classe est notamment manifeste avec les dispositifs d’interaction et de rétroaction (cette carte en présente une liste), qui permettent de redéfinir (au moins) la dimension de l’espace. L’enseignement peut ainsi être renouvellé :

« Aujourd’hui, comme ce fut le cas pour le thâtre contemporain, les schémas de l’enseignement se brisent et se reconstruisent… Le temps s’allonge, se désynchronise ou se répète. Le lieu est variable, multidimensionnel ou virtuel » (Edith, n°1, HELMo, 2018, p. 49). 

Wooclap est un exemple remarquable, offrant une interface intuitive pour l’enseignant comme pour les élèves et les étudiants. Il propose une belle variété d’activités, avec des paramétrages fins pour l’enseignant. Elément déterminant : il est possible aux participants d’accéder à la plupart des activités par SMS, dans le cas (hélas encore souvent fréquent) d’absence ou du faiblesse de réseau WiFi. L’utilisation de Wooclap est gratuite pour les fonctions de base (lien d’inscription).

De l’espace de distances à l’espace des voisinages

lucas-gallone-368519-unsplashEn effet, lorsque les élèves interagissent en classe avec un outil d’interaction et de rétroaction, ils doublent l’espace physique d’un espace virtuel. Or, ce dernier n’est pas structuré comme l’espace physique : ce n’est plus un espace de distances, mais un espace de voisinages immédiats.

En effet, comme l’explique Michel Serres, nous ne vivons aujourd’hui plus seulement dans un espace de distances, où l’on se meut localement, mais dans un espace de voisinages, où l’accès est immédiat et universel. Pourquoi ? Parce que les terminaux numériques permettent l’accès perpétuel et immédiat à presque tout ce qui nous importe, nous soulageant de la peine du déplacement : “je n’ai pas à me rapprocher d’un point pour réduire la distance qui me sépare de lui – je me situe immédiatement au voisinage de lui” (Michel Serres, Discours de réception à l’Académie Française).

Nos anciennes adresses correspondaient à un espace métrique ou local, c’est-à-dire un espace mesurable par des distances entre des lieux. Nos nouvelles adresses (avec le téléphone portable et l’ordinateur) correspondent à un espace de voisinage, où chacun peut accéder immédiatement à tous et à tout, quelque soit son lieu physique. Nous habitons ainsi ce que les mathématiciens appellent un espace “topologique” : non pas “un espace dans lequel on se meut localement, mais un espace qui se définit par des « voisinages » : je n’ai pas à me rapprocher d’un point pour réduire la distance qui me sépare de lui – je me situe immédiatement au voisinage de lui.” (Michel Serres, Discours de réception à l’Académie Française ; voir aussi cette conférence filmée). “Nous sommes devenus les voisins de tous ceux que nous retrouvons sur le réseau” (Michel Serres, entretien à The Conversation).

L’accès immédiat, mais aussi l’intervention universelle

samuel-zeller-337030-unsplashLes terminaux permettent aussi l’intervention universelle : chacun peut intervenir participer et intervenir en ligne. “Dans cette maison topologique, où il n’y a que des voisinages, où il y a des accès, on peut donner son opinion, on peut participer aux décisions, on peut partager le savoir et l’expertise […] Accès universel et interventions possibles, c’est probablement cela, la démocratie de demain” (Michel Serres, Petites Chroniques du dimanche soir, Volume 4, p. 109).

Construire de nouvelles affinités et de nouveaux apprentissages

Les technologies numériques d’interaction et de rétroaction produisent un espace virtuel d’accès immédiat et d’intervention universelle, à l’échelle de la classe (ou de l’amphithéâtre). En ce sens, la classe devient comme un théâtre grec (la tragédie grecque se jouait à ciel ouvert) : elle s’ouvre aussi sur le monde.

Dans cet espace peuvent se constituer des voisinages non forcément observés dans l’espace physique de la classe, et notamment des voisinages d’idées et d’opinions. Les élèves, on le sait, tendent à se placer dans la classe selon leurs affinités personnelles. L’espace numérique est dès lors une belle occasion de faire apparaître d’autres affinités et relations entre les élèves !

Les systèmes d’interaction peuvent autoriser l’accès anonyme aux activités (voir à ce sujet : “Les systèmes numériques de réponses : des anneaux d’invisibilité vertueux”). L’anonymat (qui peut exiger une modération des interventions par l’enseignant avant leur publication) facilite l’expression des opinions. Mais il faudra finalement quitter l’anonymat pour révéler des proximités ou des éloignements inattendus entre les élèves. De bonnes relations dans une classe permettent bien entendu des échanges à découvert, qui sont d’ailleurs essentiels pour l’apprentissage de la responsabilité (assumer ses positions).

La classe peut ainsi se déployer à la fois comme espace de distances et comme espace de voisinages. Les affinités et les apprentissages peuvent dès lors s’enrichir de cette articulation.

 

Photos : Samuel Zeller et  Lucas Gallone sur Unsplash

Suivi des prises de paroles négociées et des compétences avec un tableur

capture-decran-2017-02-18-a-21-18-14Un billet précédent a expliqué comment utiliser un tableur pour suivre des activités de prises de paroles négociées en groupes. Le but est ici d’inciter les élèves à élaborer collaborativement des réponses, et à prendre davantage la parole.

Je propose une version incluant le suivi de compétences. Le but est d’inciter les élèves à mettre en œuvre certaines compétences utiles dans l’apprentissage. Le tableur permet de de demander et de valoriser les compétences voulues dans les prises de parole.

Dans le cas de cours de philosophie, par exemple, j’attends que les prises de paroles comportent du questionnement, de l’argumentation, de la précision conceptuelle et des références à la culture philosophique et générale. Le tableur permet aussi de visualiser ces compétences par des badges ou des pictogrammes.

  • Voici une explication en vidéo.

Comme toujours, cette proposition très améliorable attend vos remarques avec curiosité.

Un tableur pour suivre les scores de travaux en « îlots bonifiés »

Tous ensemble ?

La pratique de l’enseignement mixte ou hybride (dans l’espace de la classe et dans l’espace numérique) fait réfléchir à la spécificité des activités ne pouvant avoir lieu que dans la salle de classe. La question est : que pouvons-nous faire à plusieurs dans une salle de classe et que nous ne pourrions pas faire ailleurs ?

Peut-on vraiment travailler en groupe ?

Une première réponse est bien entendu le face-à-face pédagogique entre un enseignant et un groupe. Une seconde réponse est la possibilité de travaux de groupes. Mais de tels travaux sont difficiles à mettre en œuvre. Un billet mordant de Mara Goyet (et ses nombreux commentaires) rappelle cette difficulté, pour l’enseignant comme pour les élèves. Marie Rivoire, enseignante, témoigne aussi de cette difficulté typique :

J’avais […] commencé ma carrière en mettant les élèves par îlots de quatre […]. Cependant, j’avais dû renoncer, car la gestion du groupe me posait plus de problèmes qu’elle n’en solutionnait. Certes, les élèves étaient ravis, mais comment contrôler les bavardages ? Comment être sûre que tous, à la table, participaient au travail commun ? Le meilleur élève n’allait-il pas être sollicité encore et encore pour prendre en charge les tâches données par le professeur ? N’allait-il pas finir par se lasser, et finalement, perdre de son enthousiasme au lieu d’en gagner ? Et comment alors évaluer les élèves à la table ? Toutes ces questions sans réponses avaient eu raison de mon bel idéalisme.

La question est bien : « Où est-ce qu’on nous apprend à travailler en groupe ? », comme le rappelle Marcel Lebrun.

Je propose ici un petit enrichissement numérique de la méthode de travail en « îlots bonifiés ».

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Suivre des tâches avec des points XP et des badges

De nombreux enseignants — avec ou sans le numérique — se tournent vers la ludification pour transformer l’apprentissage en jeu, ou pour qu’une activité d’apprentissage soit perçue comme ludique.

Dans cette perspective, j’ai été inspiré par un bricolage de l’inépuisable Alice Keeler. Il s’agit de permettre aux élèves et aux étudiants de marquer et de visualiser l’accomplissement de leurs tâches via un tableur, délivrant des points d’expérience, des badges de niveaux et éventuellement des badges de compétences. Je propose ici une traduction de ce tableur, quelques consignes et une invitation à améliorer le dispositif.

N.B. : ce dispositif reste certainement une exploration modeste de ludification de l’apprentissage, et ne constitue pas pleinement un jeu. Il relève pour une bonne part d’une “chocolate covered broccoli approach” (Bruckman, 1999).

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