Lire à l’écran : (re)tournons (à) la page

image : licence CC Martin GommelNos élèves (9-16 ans) font face aux écrans trois heures et demie par jour en moyenne, hors du temps scolaire : 88 minutes sur Internet et 2 heures devant la télévision (EU Kids Online Final Report, 2012). Certes, derrière le déferlement des images, Internet assure aussi « une formidable promotion de l’écrit » (J.-P. Terrail, entretien sur skhole.fr).

Mais les écrans promeuvent une lecture spécifique, qui tend à s’opposer à la lecture classique. Dès lors, comment favoriser la lecture classique sur les écrans des terminaux numériques ?

Lecture d’écran : lecture d’information

« La lecture numérique est une lecture d’information, discontinue et segmentée, attachée au fragment plus qu’à la totalité. Face l’écran, le lecteur a tendance à balayer la page pour aller au plus vite à l’information recherchée, à sauter de lien en lien avec […] le plaisir de trouver parfois la pépite qu’il ne cherchait pas » (Blais, Gauchet, Ottavi, Transmettre, Apprendre, Stock, 2014, p. 232). Sous cette forme, la lecture numérique relève de l’hyper attention : « Hyper attention is characterized by switching focus rapidly among different tasks, preferring multiple information streams, seeking a high level of stimulation, and having a low tolerance for boredom » (K. Hayles, Hyper and Deep Attention: The Generational Divide in Cognitive Modes, 2007).

Lecture de livre : lecture d’étude

Bien différente est l’attention profonde (deep attention), permise par la page imprimée. En effet, la lecture de l’imprimé est plus souvent une lecture d’étude ou de réflexion » (Blais, Gauchet, Ottavi, op. cit., p. 232). L’imprimé favorise en effet une lecture d’étude (opposée à la lecture d’information) : une « lecture profonde » (M. Wolf, Proust and the Squid: The Story and Science Of Reading Brain, Icon Books, 2008), linéaire, au service de le réflexion.

Si le livre « est un parallépipède magique pour la concentration individuelle » (R. Reuss, Sortir de l’hypnose numérique, Editions des îlots de résistance, 2013), c’est que chaque page est un lieu clos. L’étymologie semble d’ailleurs l’indiquer : le latin pagina désigne une « colonne d’écriture » après avoir originellement désigné une « rangée de vignes formant un rectangle » ; pagina dérive du verbe pangere, »mettre des bornes », « planter de vigne des coteaux » (Wikipedia). « Tout à l’opposé d’un website nullement délimité, avec ses hyperlinks [qui] incitent en permanence à aller au-delà de la page […], en dispersant son attention, la page d’un livre exige que l’on reste concentré sans s’interrompre. » (R. Reuss, op. cit., p. 127-128).

Dans ces conditions, comment favoriser la lecture classique sur les écrans des terminaux numériques ? Des dispositifs technique peuvent-ils aider à retrouver la concentration « livresque » dans la lecture des contenus en ligne ?

Un certain nombre d’outils permettent mutatis mutandis de reproduire sur les écrans l’expérience de l’imprimé. Ces outils facilitent en effet la lecture sur écran en simplifiant l’affichage, c’est-à-dire en n’affichant que le texte central d’une page (et éventuellement ses illustrations) et en éliminant tous les éléments périphériques (menus de navigation, widgets, bandeaux et publicités…).

Clearly

Clearly, notamment, ajoute aux navigateurs cette fonction de simplification de l’affichage (même si certains navigateurs la propose par défaut, à l’instar de Safari avec son « mode lecteur« ). Clearly offre des fonctions de surlignage et d’annotation du contenu, et s’intègre à l’application Evernote en permettant d’y sauvegarder tout ou partie d’une page.

Instapaper

D’autres outils permettent d’archiver des versions simplifiées des pages pour une lecture ultérieure, notamment sur des terminaux mobiles. Instapaper est sans doute l’une des meilleurs outils du genre (en concurrence serrée avec Pocket et Readability). Instapaper s’intègre aux navigateurs via une commande (bouton ou bookmarlet) permettant la copie simplifiée du contenu textuel d’une page. La version archivée sera ensuite consultable en ligne sur le site Instapaper, mais surtout sur les terminaux mobiles (smartphones et tablettes iOs ou Android, liseuses kindle). Grâce à la fonction de synchronisation, il est alors possible de lire les pages archivées même sans connexion internet. Le contenu peut être classé dans des dossiers, partagé sur les réseaux sociaux et ses parties peuvent être surlignées.

Nos élèves ignorent souvent l’existence et le fonctionnement de tels outils. En tant qu’éducateurs, nous devons le leur expliquer, pour promouvoir la lecture attentive.

N.B. : des outils permettant de limiter les distractions de l’écran lors de l’écriture. Sur Mac OS, iAWritter est un excellent exemple, parmi d’autres outils.

 


Pour information, je receuille ici quelques références en ligne concernant la lecture numérique.

5 réflexions au sujet de « Lire à l’écran : (re)tournons (à) la page »

  1. Ping : Alice Inanimée : naviguer dans le récit | Chroniques du lièvre de Mars

  2. Il me semble qu’il ne faut pas oublier que de nouvelles formes de « face à l’écran » modifient le mode de lecture.
    Ainsi pour le papier, comparons les livres, les revues, les magazines, les journaux
    De même pour le numérique, comparons, le grand écran (type téléviseur), l’écran d’ordinateur fixe, l’écran d’ordinateur portable, l’écran de tablette

    De plus autre paramètre important pour la qualité de lecture, l’ergonomie de l’instrument. Le livre peut aussi prendre plusieurs formes sont certaines favorisent la perception fragmentée et d’autre la perception approfondie. Et si on ajoute à cela la forme de l’écrit lui-même, le style littéraire, les mots, l’histoire ou plutôt la scénarisation, alors on s’aperçoit qu’on ne peut simplement opposer lecture d’écran numérique et lecture d’écran papier (comme le font trop facilement certains auteurs, même philosophes) pour assurer la qualité de l’un ou de lautre, voire la supériorité supposée…

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    • Bonjour Bruno,

      Merci pour votre remarque : il y a en effet une multiciplicité des formes de lecture selon les spécificités des supports et des écritures.
      Ceci me permet d’ajouter ce rappel historique d’Olivier Donnat : « le lecteur avisé, même au temps de la splendeur de la culture de l’imprimé, ne se caractérisait pas par un mode de lecture spécifique mais plutôt par une parfaite maîtrise des différents modes de lecture auxquels il pouvait avoir recours en fonction du contenu du texte et du contexte. » (O. Donnat, La lecture régulière de livres : un recul ancien et général, Le Débat, 2012/3, p. 51, http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=DEBA_170_0042)

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  4. Ping : Quels outils pour promouvoir la lecture attentive sur les écrans ? | Veille documentaire

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